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Champion un soir de défaite, champion une saison de finale européenne pour Monaco et Marseille, champion avec un président impopulaire. Le troisième titre de l’Olympique lyonnais n’a attiré que la lumière en surplus, et l’hommage a concentré plus de respect que d’amour, plus d’admiration que de tendresse. Il faudrait aimer Lyon, pourtant. Il lui manque l’instabilité et les scandales, les crises profondes et les démissions, pour offrir à l’audience un autre profil que celui de premier de la classe toujours bien coiffé, toujours au premier rang, et toujours capable d’en faire un peu plus pour emporter le morceau au troisième trimestre. Peut-être a-t-on plus de tendresse pour une conquête passagère que pour la naissance d’un empire tel qu’il se dessine à Lyon, première puissance française des années 2000. Mais faudra-t-il attendre ses premières fissures, paradoxales preuves de sa grandeur, pour porter sur lui un juste regard ?
Il n’y a pas d’injustice dans la perception populaire d’un champion ou d’une équipe, tout au plus de l’incompréhension. Mais les joueurs lyonnais, et leur entraîneur, méritent mieux que cette image vampirisée par l’omniprésence présidentielle. Jean-Michel Aulas lui-même parvient, par ses provocations, à cacher son œuvre, alors qu’il est peut-être le seul bâtisseur dans l’histoire récente du football français, s’insi¬ nuant au cœur de l’Europe des grands sans l’appui d’un actionnaire généreux et dispendieux (Canal Plus à Paris, le Palais à Monaco, Louis Dreyfus à Marseille).
C’est une situation qu’il faut ainsi résumer : champion de France pour la troisième fois d’affilée, quart de finaliste de la Ligue des champions, Lyon a connu la plus belle saison de son histoire. C’est le meilleur club français de ces cinq dernières années. Voilà six ans qu’il
ne s’écarte pas du podium, ne connaissant pour crises qu’une élimination européenne en passant contre un obscur qui lui gratte le menton (Denizlispor, Libérée), ou un classement automnal qui n’annonce, en fait, que le sprint à venir. Dans les années de l’après-Bosman, qui ont débouché sur la fuite des meilleurs joueurs à l’étranger et sur la confusion de la hiérarchie domestique, Lyon a donné le signal de la révolte des gros budgets. Il est le premier à avoir affiché la stabilité dont s’enorgueillissent les clubs emblématiques des nations majeures. Le premier à connaître une fin que justifient ses moyens, le premier à donner à sa politique ambitieuse les contours d’une cohérence. Seuls Saint-Étienne, champion de 1967 à 1970 puis de 1974 à 1976, et Marseille, champion de 1989 à 1992, ont fait mieux dans l’histoire du Championnat de France.
Jean-Michel Aulas a le mérite d’avoir bâti tout ça. Il décrit : « Il y a dix-sept ans, le club était en D2, avec de grandes difficultés économiques, un budget de 17 MF, 2,5 M d’euros, et 10 MF de passif. Aujourd’hui, on a 80 M d’euros de revenus. Certains ont longtemps dit que je n’avais jamais rien gagné, mais aujourd’hui, on a un palmarès, une vingtaine d’internationaux, 37 000 spectateurs de moyenne, et on a joué 72 matches européens depuis que je suis là. » Trois fois champion. Trois fois revenu de l’enfer. Trois fois, Lyon a semblé avoir perdu le titre en chemin. Trois fois, il l’a gagné au bout de la route, sur le fil, sans hasard, au seul prétexte qu’il était le plus fort. Le 9 janvier 2004, en perdant 3-0 à Monaco, les Lyonnais comptaient 10 points de retard. Un gouffre au classement, mais qui n’était pas celui du jeu : ce soir-là, à Louis-II, les Lyonnais avaient été plus joueurs, mais punis par leur inefficacité défensive. Paul Le Guen rappellera, plus tard : « Notre remontée a été rendue possible par l’addition des ambitions au sein du groupe. J’ai toujours senti cette ambition dans le vestiaire et sur le terrain. À aucun moment les gars n’ont renoncé. Même à Monaco, avec 10 points de retard, leur refus de la défaite était perceptible. On avait perdu lourdement après avoir bien joué, et je me souviens des joueurs dans le vestiaire : ils disaient que ce n’était pas possible, qu’on n’allait pas se laisser devancer par une équipe qui ne nous était pas supérieure. Ce jour-là, sur le terrain, ils avaient eu le sentiment d’être la meilleure équipe. Cela les avait fait avancer. »
Dans la foulée, Lyon avait pris 28 points, sur 33 possibles, au cours des onze journées suivantes. C’est à ce moment-là que les Lyonnais ont construit leur titre, alors qu’ils menaient eux aussi une double vie, entre une qualification en Ligue des champions face à la Real Sociedad (1-0, 1-0) et une élimination devant Porto (0-2, 2-2). Monaco n’a pas seulement craqué sous l’effet de son épopée : les Monégasques n’ont remporté que six de leurs quinze derniers matches de championnat. Les Lyonnais, eux, ne craquent pas. Jamais, en tout cas, en fin de saison. « Le championnat n’a plus de secret pour nous, on le connaît pas cœur », affirmera Grégory Coupet à l’instant de la prise de pouvoir, dans les premiers jours d’avril. « Dans la première partie de la saison, Monaco a été exceptionnel et nous, très bons. En ce moment, nous sommes exceptionnels, et Monaco est très bon. Notre mérite est de n’avoir jamais lâché. »
Comment mesurer, en fait, si l’Olympique lyonnais est, ou non, un club populaire? Certains aiment prétendre que non, pour le seul plaisir d’imaginer Jean-Michel Aulas agacé en conséquence. Il faut aller au-delà, pourtant, de l’impopularité gagnée au fil des saisons par un président qui accompagne son avis sur tout d’une talentueuse mauvaise foi. Car, pour qui l’a suivie tout au long de la saison, Lyon est sans doute l’équipe la plus ouverte, la plus sympathique, la mieux élevée et la plus accessible des vingt meilleures équipes européennes.
Il n’existe pas d’autre club de ce niveau qui favorise à ce point le contact entre ses joueurs et les médias. C’est une autre culture du club. Cela n’empêche ni la culture de la victoire ni la culture de l’événement. Les Lyonnais sont disponibles tous les jours, ils disent toujours oui, s’arrêtent à chaque demande. Les Brésiliens sont gentils et bavards, d’autres sont seulement gentils, d’autres sont seulement bavards. Il y a les bons clients, Coupet, Juninho, Edmilson, Carrière, Malouda. Il y a Elber, qui a commencé à accorder des interviews en français au bout de six mois, et qui est toujours intéressant. Il y a les timides, Millier, Diarra, Essien. Il y a Dhorasoo, autour duquel il y a toujours des histoires à raconter, mais qui cherche toujours à contrôler sa communication, qui ne se lâche jamais, et qui, dans un bon jour, pourrait battre Paul Le Guen dans un concours de langue de bois. Il y a Paul Le Guen, qui parle peu, mais qui accepte en contrepartie, sans une remarque, sans un reproche, sans une rancune, tout ce qui peut s’écrire sur lui et sur ses choix. La transparence lyonnaise est assumée. La règle est la même qu’ailleurs : les joueurs ne doivent pas critiquer les autres joueurs, et il y a toujours explication de texte lorsque l’un d’entre eux vient à cri¬ tiquer l’entraîneur. Mais puisque les portes sont toujours ouvertes, les explications sont publiques, et les débats rarement enterrés dans les jardins secrets où l’herbe ne repousse pas, parfois.
Après l’élimination par Porto, les choix tactiques de Paul Le Guen avaient été stigmatisés par une partie des observateurs. Défense à trois, Malouda arrière gauche, Luyindula milieu gauche. Les joueurs eux-mêmes n’avaient pas hésité à mettre les pieds dans le plat. Edmilson : « On n’a pas les joueurs pour défendre à trois. Moi, je ne sais pas faire. En fait, je crois qu’il serait mieux de s’en tenir à une seule organisation tactique. » Juninho : « Notre effectif n’est pas équilibré. Nous avons beaucoup de solutions au milieu, mais pas en défense, et pas en attaque... » Luyindula : « Ce qui nous a manqué, pour la qualification, c’est le match aller. On a commencé le match pour subir, on a joué sans grande ambition. » l’entraîneur lyonnais s’est servi de tout pour avancer, et même de ces déclarations de ses propres joueurs qui pouvaient, vu de loin, déstabiliser sa position. Il est un entraîneur lyonnais très peu lyonnais. Il a loué un appartement à l’écart de la presqu’île, loin du cœur de la ville, loin des mondanités, qu’il déserte. Il n’a pas voulu s’installer, comme s’il fallait se mettre en situation de n’être que de passage pour bien faire son métier d’entraîneur. Il vit sa troisième saison d’entraîneur de l’OL, et il sait depuis le premier jour que cela ne durera pas, que ce n’est ni souhaitable ni possible. Il ne sera pas là dix ans. Il ne sait même pas s’il sera entraîneur dix ans. Et il est possible qu’une année avec Jean-Michel Aulas vaille trois années ailleurs. C’était sûrement un métier plus tranquille, entraîneur de Lyon, quand le portable n’existait pas.
Le Guen a montré sa rigueur, sa souplesse et son intelligence dans la gestion du cas Vikash Dhorasoo, exclu du groupe en février, à la veille d’un déplacement à Auxerre, et parti de Gerland au bord des larmes, face à l’ovation debout de 38 000 spectateurs enamourés : son entraîneur l’avait sorti à quelques minutes de la fin de Lyon-Lille (3-0), lors de la dernière journée, pour qu’il reçoive cet hommage. Vikash Dhorasoo a passé sur le fil Péguy Luyindula au classement des notes de L’Équipe. Il a aussi remporté l’Étoile d’or de France-Football. Il est apparu dans ces classements en toute fin de saison ; longtemps, il n’avait pas disputé le nombre de matches requis. Il n’a pourtant pas avancé caché. Paul Le Guen ne peut pas goûter ces interférences, qui ne correspondent ni à sa personnalité ni à ses intérêts. Lorsqu’il était joueur, il avait fallu que Luis Fernandez lui en fasse beaucoup, en 1996, au PSG, lui faisant perdre sa place dans l’équipe parisienne dont il était le capitaine, mais aussi en équipe de France, pour qu’il manifeste publiquement son désaccord. Mais Canal + l’eut montré à la Beaujoire avec ce bob, qui n’était donc pas celui d’Umbro, l’équipementier lyonnais. Il s’est échauffé les mains dans les poches, un soir de Coupe de France à Monaco, parce qu’il était remplaçant. Il a été exclu du groupe trois jours plus tard. Il est revenu la semaine suivante, et il a même apprécié le discours que Paul Le Guen lui a tenu en tête-à-tête. Il a fait des différences individuelles énormes dans ses bons jours. Il a marqué des buts qu’il ne marquait jamais, des buts qui valaient de l’or, à Toulouse (1-0), à Lens (1-1), à Bordeaux (1-1), surtout, au cœur du sprint et de l’incertitude. Il est devenu l’idole de Gerland. Il a boudé, à Metz (2-1), un soir de match capital pour le titre, parce que Paul Le Guen voulait en faire un milieu droit. Il a tout fait, en première période, pour lui montrer qu’il avait tort. À la mi-temps, Le Guen lui a mis le marché en main, avec intelligence : « Passe dans l’axe, derrière les attaquants, et montre-moi. » Il avait montré, bien sûr. Il joue aujourd’hui au Milan AC, où il a emmené, dit-il, « un bout de Lyon, du Havre, et de l’île Maurice ».
Lyon a perdu les trois D, en fin de contrat (Dhorasoo, Deflandre, Delmotte). Il a perdu Éric Carrière, champion de France quatre fois consécutivement, série en cours. Il a perdu Patrick Müller, aussi, son capitaine. Un capitaine d’une équipe championne de France a-t-il déjà été aussi anonyme? Timide, rétif aux confessions, joueur de vestiaire, intelligent, devenu un défenseur trop cher par rapport à sa pointe de vitesse, le Suisse aurait sans doute mérité que le public ne passe pas à côté de lui. Et le nouveau Lyon qui se bâtit a perdu en sagesse. C’est peut-être fait exprès, au fond : un peu plus de folie devrait lui faire du bien au teint. Il sera plus facile, alors, d’aimer Lyon.
L'effectif : Coupet – Bak, Bréchet, Caçapa, Chanelet, Deflandre, Delmotte, Edmilson, Laville, Müller – Carrière, Foé, Hauw, Juninho, Laigle, Linarès, Violeau – Anderson, Bergougnoux, Govou, Luyindula, Marlet, Née.
Le staff : Jacques Santini (entraîneur), Dominique Cuperly (adjoint), Robert Duverne (préparateur physique) et Joël Bats (gardiens).
Les buteurs : Anderson (18), Govou (13) et Luyindula (11).
Championnat : 1e sur 18. Champion de France et qualifié pour la Ligue des Champions.
Coupe de France : éliminé en 1/16 de finale par Châteauroux (0-2).
Coupe de la Ligue : éliminé en 1/8 de finale par Bordeaux (1-1, 2-4 tab).
Ligue des Champions : éliminé au premier tour.
Coupe de l’UEFA : éliminé en 1/8 de finale par le Slovan Liberec (1-1 et 1-4).
2002 2003
L'effectif : Coupet, Puydebois, Vercoutre – Bréchet, Caçapa, Chanelet, Deflandre, Delmotte, Edmilson, Laville, Montoya, Müller – Balmont, Carrière, Dhorasoo, M. Diarra, Hauw, Juninho, Violeau – Anderson, Govou, Luyindula, Née, Vairelles, Touré.
Le staff : Paul Le Guen (entraîneur), Yves Colleu (adjoint), Robert Duverne (préparateur physique) et Joël Bats (gardiens).
Les buteurs : Anderson (17), Luyindula (16) et Govou (14).
Championnat : 1e sur 20. Champion de France et qualifié pour la Ligue des Champions.
Coupe de France : éliminé en 1/32 de finale par Libourne (1-0).
Coupe de la Ligue : éliminé en 1/16 de finale par Sochaux (3-3, 5-3 tab).
Trophée des Champions : vainqueur face à Lorient (5-1).
Ligue des Champions : éliminé au premier tour.
Coupe de l’UEFA : éliminé en 1/8 de finale par Denizlispor (1-1 et 0-0).
2003 2004
L'effectif : Coupet, Puydebois, Vercoutre – Berthod, Caçapa, Chanelet, Deflandre, Delmotte, Edmilson, Gomez, Müller, Réveillère, Sartre – Balmont, Carrière, Clément, Dhorasoo, M. Diarra, Essien, Juninho, Malouda, Violeau – Bergougnoux, Elber, Govou, Luyindula, Viale.
Le staff : Paul Le Guen (entraîneur), Yves Colleu (adjoint), Robert Duverne (préparateur physique) et Joël Bats (gardiens).
Les buteurs : Luyindula (19), Juninho (17) et Elber (15).
Championnat : 1e sur 20. Champion de France et qualifié pour la Ligue des Champions.
Coupe de France : éliminé en 1/8 de finale par Monaco (4-1).
Coupe de la Ligue : éliminé en 1/8 de finale par Lens (1-1, 4-3 tab).
Trophée des Champions : vainqueur face à Auxerre (2-1).
Ligue des Champions : éliminé en ¼ de finale par Porto (2-0 et 2-2).
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