Tuesday, March 8, 2022

C1 1978 1979 Nottingham Forest Grasshopers Zürich

 Le dernier quart de finale de cette edition oppose Nottingham Forest à Grasshopper Zurich, et cet affrontement a ceci de plaisant, outre la qualité des deux équipes, que le club suisse a été fondé par un Anglais, EJ. Westermann, en 1886. Cet homme devait être d'ailleurs neuf ans plus tard, le père spirituel et le premier président de l'Association suisse de football. Cette ascendance britannique a fait de Grasshopper (la sauterelle, en français) un club où l'on ne mange pas avec ses doigts, ni ne se mouche dans sa manche. Le G.C., ainsi qu'on abrège en Suisse, a toujours été considéré comme «un club de huppés, de bourgeois dominés et dirigés par la crème zurichoise des industriels et des banquiers». Ses joueurs ont toujours témoigné d'une distinction et d'une opulence que leur enviaient, et que leur envient encore, tous les autres clubs suisses. Sur le plan du jeu, Grasshopper a toujours été fidèle à un style anglo-saxon dans lequel la vigueur athlétique, la passe en profondeur, le jeu aérien, le réalisme en somme correspondent bien aux goûts des spectateurs alémaniques. L'une de ses plus belles périodes (5 titres et 6 coupes de Suisse en dix ans) a été impulsée par Karl Rappan, le père du verrou. Le Grasshopper de Johanssen, un entraîneur allemand, est fondu dans ce moule de l'efficacité collective. Les puristes romands, et ses deux meilleurs joueurs, Sul-ser et Ponte, le lui reprochent parfois, au point que Johanssen, non dénué d'humour, a attrapé son numéro 10 dans un coin pour lui dire : « Je te propose un pacte. Tu me critiqueras une semaine, et moi je te critiquerai la semaine suivante. Ainsi, les journalistes auront toujours de quoi écrire».


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Quarts de Finale Aller
7 Mars 1979
City Ground, Nottingham

 
 Quand Grasshopper «monte» à Nottingham pour le match aller du 7 mars 1979, un événement considérable vient de secouer le football anglais : Clough et Forest ont engagé l'un des meilleurs joueurs du pays, Trevor Francis (Birmingham City) pour la somme exceptionnelle de 1180 000 livres, toutes taxes comprises (plus d'un milliard d'anciens francs). Quand on sait que Keegan fut transféré à Hambourg, en 1977, pour 500000 livres, on comprend l'émotion des Anglais. Et quand on apprend que Francis ne pourra jouer ni les quarts de finale, ni les demi-finale de la Coupe d'Europe, car il faut un délai de qualification de quatre mois, on crie au fou. Clough se dispense de donner des explications, mais un certain nombre de gens connaissent ses raisons. Plusieurs clubs ont fait barrage à ses projets de transfert, notamment Derby pour Charlie George. Or, Clough estime que son effectif doit être renforcé si Forest veut prétendre aux premiers rôles en Europe. Il désire une émulation parmi ses attaquants. Il a fait le calcul que le montant du transfert de Francis, déductions faites du transfert de Peter Withe (250000 livres), des impôts sur bénéfices et des rentrées à venir, ne s'élèverait guère qu'à 400000 livres. «De toute façon, a dit Clough, et même si Forest n'en a pas encore l'usage, il ne peut pas laisser passer l'opportunité d'engager le meilleur joueur de sa génération». Forest s'offre donc le réserviste le plus cher du monde au moment où son attaque formée de O'Neill - Birtles - Woodcock -Robertson fait des étincelles en championnat et en Coupe de la League. Cela pourrait entraîner des mesures de rétorsion au sein de l'effectif. Cela entraîne au contraire une formidable révolte dans le jeu, dont Forest va bénéficier, Clough en mettrait sa main au feu.Le 7 mars donc, le terrain de Forest est en piteux état. Les téléspectateurs français, en voyant voler sous les semelles de grandes escalopes de gazon bruni, et tressauter le ballon sur ces escalopes perdues, ont une pensée émue pour les attaquants de l'impossible. Car le schéma habituel est aussitôt dessiné sur le terrain du City Ground : d'un côté une équipe, Forest, décidée à jeter toutes ses armes offensives dans la bataille ; de l'autre, une formation recroquevillée, Grasshopper, avec quatre ou cinq hommes au milieu du terrain, et deux seulement (Ponte et Sulser) en pointe. ette tactique du contre s'avère payante dès le début du match puisque, à la 10e minute, sur une action déclenchée de loin par Meier, Sulser s'échappe et s'en va battre, du pied gauche, le gardien Shilton. L'attaquant des «Grasshopp» marque là son dixième but de la Coupe d'Europe 1978-1979 et l'on se dit qu'il possède décidément un sacré talent pour transformer en blé les rares graines que le jeu lui offre. Les joueurs de Nottingham sont alors placés dans les pires conditions matérielles, techniques et morales. Ils sont menés au score sur leur terrain, ils jouent sur un terrain «impossible», et ils affrontent une citadelle devant laquelle chacun de leurs attaquants est pris en défense individuelle : Robertson par Wehrli, Birtles par Montan-don, Woodcock par Hermann, O'Neill par Bauer, Heyse se tenant en position de libero. Mais les Anglais ne se posent aucune question. Sur une mer de boue, ils attaquent «comme on enfonce un énorme clou : en tapant dessus, jusqu'à ce qu'il entre.» Ils ignorent la peur, le calcul, la stratégie, la prudence. Ils gardent leur simplicité, leur force, leur élan, leur combativité. On a très peur pour eux pourtant. Car ils rebondissent sur le mur des Zurichois malgré les débordements de Robertson, les accélérations de Woodcock, et les rentrées au centre de O'Neill. Enfin, à la 31e minute, ils obtiennent satisfaction. Woodcock, prince des élégances, efface trois adversaires en pleine course et Birtles, avec un sang-froid de vieux grognard, trompe Ber-big d'une belle frappe du pied gauche.

Au début de la seconde mi-temps (4T5), sur un magnifique dribble aérien de Birtles, un défenseur zurichois enraye le danger en se servant de la main. C'est un penalty que John Robertson, surnommé «Robbo», transforme sans coup férir. L'Écossais en a réussi sept depuis le début de la saison, comme en se jouant : « Je regarde le gardien droit dans les yeux,  explique-t-il, etje change de côté à chaque fois, ce qui déjoue l'espionnage et les plans de l'adversaire». 2-1 pour Forest, c'est mieux, mais c'est insuffisant. L'équipe anglaise continue donc son formidable pressing, avec une constance et une combativité qui laissent pantois les observateurs. Archie Gemmill, celui qui a marqué pour l'Ecosse (et contre la Hollande) le plus beau but de la Coupe du Monde 1978, s'est installé au piano. Il n'est pas très beau, Archie, mais il a le sens du rythme, et un «ampli» conçu selon le principe du «True Power», celui de la vraie puissance. Il a avancé son tabouret d'un cran, et il a dit à ses copains : «Le hard-rock va revenir. Plus dur que jamais ». Quand Archie dit ça, il faut s'attendre à une augmentation du relief dans les basses. Le pianiste et ses musiciens de choc marquent un temps d'arrêt à la 75e minute. Sulser, le trompettiste soliste des «Grasshopp » est passé d'une écoute neutre à une écoute colorée. Il s'en est allé de la zone de fréquence médium vers la puissance optimale. Et Peter Shilton a réalisé un vrai miracle en détournant la note méchamment jetée. Clough dira plus tard : «Si Sulser avait égalisé à 2-2, nous n'aurions jamais réussi à nous imposer au score».  trois minutes de la fin, le score est toujours de 2-1. Les Anglais vont encore plus loin dans la fureur de vaincre. Archie, au piano, est déchaîné. Il donne la pleine puissance sur la haute fréquence. Et à la 87e minute, sur une balle qui revient du mur, il transperce la cage de Berbig. Gemmil ? Un rocker, un vrai. L'équipe suisse, tout ébaubie, encaisse dans la foulée (89e) un quatrième but de Lloyd, monté pour « mettre sa tête ». Et l'on se rappelle alors cette phrase de Louis Pergaud à propos d'un orthoptère : «Une grosse sauterelle verte aux longues antennes tomba les pattes repliées comme deux barres parrallèles autour de son corps». Indiscutablement, Grasshopper Zurich ne méritait pas ça, ce 4-1 sans nuance, synonyme d'élimination. Mais l'équipe suisse n'était pas venue pour rien. Elle avait participé au spectacle, elle avait fait trembler le nouveau roi et, devant leurs «étranges lucarnes », les Français avaient eu pour elle mieux qu'un sentiment de compassion : une véritable admiration.


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