Le tirage au sort, depuis quelques années, ne favorise guère les clubs français. Tous rêvent, au moins une fois, et même une fois seulement, de rencontrer les Chypriotes d’Omonia Nicosie, les Maltais de la Valette ou les Islandais de Reykjavik. Mais après Dukla, c’est l’Atlético Madrid que Nantes doit affronter. Et l’Atlético, c’est le diable en personne, capable s’il le faut de « citer l’Ecriture pour ses besoins ». En Espagne, la gloire et la puissance appartiennent surtout aux trois « Grands » : le Real Madrid, le F.C. Barcelone et l’Atlético. Le Real, c’est la noblesse de sentiment. Le Barça, c’est le cœur et la passion. L’Atlético, c’est la vie au jour le jour, faite de talent ou de violence, au gré des circonstances.
En seizièmes de finale, à Bucarest, contre Dynamo, deux joueurs de l’Atletico (Luis Pereira et Robi) ont été expulsés, trois autres (Leal, Ruben Cano, Aguilar) avertis. Les dirigeants espagnols ont crié au scandale mais tout le monde s’est rappelé l’incroyable demi-finale de 1974, à Glasgow, quand trois joueurs de l’Atlético (Ayala, Diaz, Quique) avaient été expulsés devant le Celtic. L’Atlético, réduit à huit, avait tout de même arraché le 0-0 avant de gagner 2-0 à Madrid et de décrocher sa place en finale. Sans un but miracle de Schwarzenbeck à la 1 19e minute, l’équipe espagnole aurait même inscrit son nom au palmarès de la Coupe d’Europe, ce qui eut été un comble. Au lieu de ça, elle avait été écrasée par le Bayern (4-0) en match à rejouer. Rien n’a changé, en trois ans et demi, à l’Atlético. Quand un attaquant adverse se sent pousser des ailes, il lui pousse aussi des bleus. Toutes les ficelles du jeu, les poussées et les tirettes, les crocs-en-jambe et les coups de coude, les intimidations et les violences, font partie de l’arsenal de cette équipe au-dessus de tout sentiment. Elle est là pour gagner, envers et contre tout. Et pour la dominer, il faudrait un animal à sang froid, puissant comme un éléphant et méchant comme une teigne. Tout ce que le F.C. Nantes, fort heureusement, n’est pas.
Huitieme de Finale
19 octobre 1977
Stade Marcel-Saupin
50minutes FR
C1.1977.1978.Nant.AtlMad.twb22.mp4
1.0 Go
https://uptobox.com/dsn5sm5i0mcp
https://uptostream.com/dsn5sm5i0mcp
Le 19 octobre 1977, à Nantes, l’Atlético a donc installé sa défense porc-épic à sept ou huit joueurs et mis un écriteau devant sa porte : « Attention, chiens méchants ! » Tous les ballons sont hachés menus. Tous les contacts font se rouler de douleur les malheureux Espagnols. Toutes les contre- attaques de l’Atlético sont des cailloux brûlants. C’est ainsi qu’au plus fort d’une domination nantaise de tous les instants, le vieux Marcial, transfuge de Barcelone, aligne tranquillement Bertrand-D manes : 1 -0 pour l’Atlético à la 43e minute. L’équipe française, jeune et naïve, a mal résolu le problème que l’adversaire lui pose. Au lieu d’écarter le jeu et de disloquer la citadelle par des centres et des actions simples, elle l’a abordée de front, soit balle au pied, soit par des balles aériennes. Il n’en est rien sorti, sinon désillusion et but en contre.
Dès le début de la seconde mi-temps, Nantes a vigoureusement réagi. Sur un tir superbe de Michel, la balle a frappé la barre et Guy Lacombe a égalisé. Mais, quelques minutes plus tard (55e), l’arbitre gallois M. Thomas, irréprochable, siffle un penalty en faveur de l’Atlético pour faute de Rio sur Ruben Cano. L’avant- centre espagnol s’avance, tire et... voit son ballon repoussé par Bertrand-Demanes.
Cet exploit du gardien nantais est une belle revanche. Depuis les deux buts qu’il a encaissés au Parc, en mars 1976, contre la Tchécoslovaquie, la réputation du « Grand » est fluctuante. Quand il réussit un bon match, on dit qu’il est « dans un bon jour». Quand il en rate un, on souligne qu’il n’est « pas très sûr». Bertrand- Demanes n’aime pas, bien sûr, cette étiquette-éclair. « Ce sont des critiques injustes, qui font mal, et qui n’apportent rien. Le drame, dans mon cas, c’est que mes erreurs sont plus lumineuses que celles des autres. Sans doute parce que je prends plus de risques. Pour un gardien, voyez-vous, ce sont les premières balles qui comptent, celles qu’il ne faut pas rater. Elles mettent en confiance. Mon métier est un métier manuel. Or, quand on commence bien un boulot, c’est rare qu’on le termine mal. C’est la règle. Ce qui est mauvais pour nous autres gardiens, c’est de penser. Il faut agir vite, d’instinct. » Sur le penalty de Cano, Bertrand-Demanes n’a pas pensé. Il s’est jeté, et il a gagné.
Le match nul terminal, 1-1, ne peut évidemment satisfaire les Nantais. Il provoque des remous, et des accusations. « Les Espagnols sont des tricheurs, clame Pécout, que les arbitres ne sanctionnent pas suffisamment. » « Cela fait des années qu’ils se comportent de cette manière, ajoute Henri Michel. On les laisse faire: pourquoi changeraient-ils ?» « Si pour aller loin en Coupe d’Europe, il faut jouer comme l’Atlético, conclut Jean Vincent, alors je préfère que nous soyons éliminés. » Les durs de l’Atlético, les mous du F.C. Nantes et les pigeons-spectateurs de Marcel-Saupin viennent de tourner une nouvelle séquence de la Coupe d’Europe. Pour la plupart, ils en gardent du dépit.
No comments:
Post a Comment
NO LINKS ALLOWED