Quart de Finale Aller
6 mars 1985
Parc Lescure
C3.1988.1989.Bord.Dnipropetrovk.twb22.mp4
2.3 Go
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Plus animée devait être la journée du lendemain. Avec d'abord la préparation pour toute l'équipe de Canal Plus de la retransmission à 7 caméras. Avec ensuite la mise en place, pour faire plai¬ sir à Jacques Chaban-Delmas et à Claude Bez, d'une diffusion de nos images Canal Plus sur FR3 Aquitaine. Un cadeau des Girondins et de la chaîne à tous ceux qui n'avaient pu trouver une place au Stade Vélodrome.
Et qui auraient regretté de ne pas assister au spectacle des premières minutes. Jamais peut-être une équipe française n'avait été aussi rayonnante, aussi conquérante. Cette formation bordelaise qui connaissait toujours des dif¬ ficultés à se mettre en route (les statis¬ tiques montrent qu'en championnat elle a marqué 1 6 buts dans la première demi-heure, 30 dans la deuxième et 23 dans la dernière) régnait sur le match et les Soviétiques en étaient réduits au rôle de fantomatiques comparses. La défense de Battiston n'avait même pas besoin de prendre les mesures de prudence adoptées face à Bilbao ou Bucarest, les attaquants de Dniepr n'existaient pas, occupés qu'ils étaient à colmater les brèches de leur propre défense. Et il y en avait de tous côtés. Sur le flanc droit, sur le flanc gauche, dans l'axe central, dans les airs. Partout les «marine et blanc» étaient les dieux du stade et leurs adversaires de pauvres lutins désemparés qui allaient au-devant d'une exécution capitale. Pour former le peloton, Bernard Lacombe. Dès la neuvième minute. Au départ Léonard Specht (tiens, tiens, encore lui...). Une montée facilitée par le grand désert dans la plaine de l'équipe d'Ukraine, une ouverture sur Lacombe. Un contrôle et soudain la nasse soviétique se referme sur lui. Ils sont trois à le serrer, à l’accrocher même. Lui est trop malin. Il trébuche, tournoie, va tomber. Il met la main au sol, se relève, poursuit l'action en déséquilibre et du bout de la chaussure, dans un geste de débutant, marque.
La première balle a été tirée. Dieter Muller se charge de la deuxième. Il a été désigné comme bourreau à la 19e minute quand Lacombe a été fauché par Poutchkov au plus fort de la pression bordelaise. Ils étaient trois à pouvoir tirer le penalty: Giresse, Lacombe et Muller. Tout
les regards s'étaient tournés vers Muller, peut-être parce que sa présence physique paraissait un gage de sécurité face à un gardien qui impressionnait de plus en plus au fil des minutes. «Je n'étais pas à l'aise au moment de tirer, racontera-t-il plus tard, bien plus tard. Et pourtant je savais que si je marquais, à 2-0, le match était terminé.»
Dieter Muller n'allait pas marquer. Krakowski réussissait un de ces miracles dont il était coutumier depuis le début de la soirée et repoussait le tir. Muller avait frappé de l'intérieur du pied, à mi-hauteur, sur la droite du gardien. Ce qui était le plus mauvais choix à partir du moment où le gardien n'était tombé dans aucun piège. Jean Castaneda m'a expliqué un jour dans une superbe métaphore automobile ce qu'est un penalty. «Tu peux le comparer à un virage en Formule 1. Le dernier qui freine a gagné. Sur un penalty, c'est la même chose. Le tireur et le gardien s'impressionnent, se font des feintes et c'est celui qui fera la dernière qui gagnera. Malheur au gardien qui est parti trop tôt, malheur au tireur qui s'est laissé embarquer par le gardien !» Ce jour-là, Krakowski qui avait arrêté un penalty lors de son dernier match de championnat avait choisi de ne s'occuper que du pied de Muller. Muller pouvait donc multiplier les feintes de regard ou de frappe, elles n'avaient aucune prise sur le gardien soviétique. Et quand celui-ci vit le pied de Muller bien ouvert et apparemment sans malice, il se détendit sur sa droite pour ce qui allait être le fait du match. Lorsque Muller se prit la tête à deux mains, il ignorait encore que c'est toute la rencontre qui basculait. Lui ne pensait qu'à un échec ponctuel, alors qu'il venait de libérer toutes les forces du doute.
Les siennes d'abord puisque, comptabilisa Gérard Ejnes dans France- Football, il bénéficia dans cette soirée de neuf occasions franches. Toutes, il les manqua toutes sans que l'on puisse évoquer la malchance mais bien la maladresse. Dieter Muller ne savait plus contrôler un ballon, Dieter Muller n'avait plus de spontanéité, Dieter Muller n avait plus de lucidité. Il était devenu -ne épave, se battant avec l'énergie du désespoir, mais incapable de concrétiser a moindre action. Le penalty le hantait.
Et plus grave, il hantait aussi ses équipiers. Certes la domination restait bordelaise mais on ne trouvait plus la même flamme, le même enthousiasme, -es occasions de but existaient toujours, avec même quelques éclairs de génie telle cette fabuleuse reprise de volée de Giresse (33e), mais on sentait s'abattre sur les épaules de tous une chappe d'impuissance. La marche qui s'annoncait triomphale n'avait plus les mêmes accents et, consciemment ou inconsciemment, l'image de l'arrêt de Krakowski sur le tir de Muller défilait et redéfilait dans tous les esprits.
Il ne faut pas plus d'un petit grain de sable pour dérégler les plus belles mécaniques et ce penalty raté était plus qu'un grain de sable. La preuve. Au moment où Aimé Jacquet préparait dans sa tête les phrases de réconfort et d'encouragement qu'il aurait durant la mi-temps à l'égard de Muller, au moment où Michel Denisot observait qu'en 42 minutes les Soviétiques n'avaient tiré qu'une seule fois au but, se produisait l'invraisemblable. L'égalisation soviétique. Longue balle en profondeur de Taran. Luity part dans le dos de Battiston avancé, dans le dos de Rohr qui croit au hors-jeu, et s'en va battre Dropsy d'un tir croisé que Rohr manquera d'un rien de dégager avant la ligne.
On aurait entendu un grain de caviar tomber sur la pelouse tant le silence était grand. Et les gestes de joie des Soviétiques avaient quelque chose à la fois d'irréel et de dérisoire.
Nul ne le savait encore: le ressort bordelais était cassé. Devant des Soviétiques qui prenaient confiance au fil des minutes, devant un gardien, Krakowski, qui ajoutait une dose de découragement après chaque tentative bordelaise, les champions de France perdaient peu à peu de leur prestance. Leur belle organisation commençait même à bafouiller et à 10 minutes de la fin André Latour- nerie, maître des Girondins au journal Sud-Ouest, dictait déjà : «Décidément, il était dit que ce match-là, Bordeaux ne pouvait pas le gagner. Mieux, ou plus mal, c'est selon, il faillit bien le perdre. Notamment lorsqu'à la 77e minute le dénommé Taran plaça un remarquable tir en pivot à ras de terre, le ballon frôlant la cage de Dominique Dropsy, et surtout quand à la 80e, Protassov inscrivit un but que l'arbitre refusa pour un hors-jeu signalé par son juge de touche. On n'est pas d'ailleurs absolument persuadé qu'il le fit à bon droit.» Bien vu, André. Le juge de touche s'était effectivement trompé, les ralentis à la télévision sont impitoyables et le deuxième but soviétique était valable. Imaginez le déchaînement du public et de la presse dans une situation inverse. En Union Soviétique en revanche, il n'y aurait rien à craindre puisque le seul journaliste présent assurait le reportage pour la télévision, la radio et la presse écrite. Au dernier coup de sifflet, il était en tout cas bien content du résultat et on le vit même avec surprise prendre des allures sud-américaines, toutes d'exubérance et d'enthousiasme.
Quart de Finale Retour
20 mars 1985
Meteor Stadium
Tout semblait devoir jouer en faveur des Soviétiques pour ce retour à Bordeaux. Le résultat d'abord. 1-1 et ce fameux but à l'extérieur qui condamnait les Bordelais à marquer en URSS. La détresse des Girondins ensuite, abattus, à l'image de Muller, après ce nul qui avait des airs de défaite tant il aurait dû être un triomphe. Didier Couecou, le manager, résumait ainsi les pensées: «On aurait pu gagner 5-0. Il n'y aurait rien eu à dire. Mais ce penalty raté nous a complètement déréglés.» L'absence de René Girard aussi, blessé en championnat et qui suivrait le match retour de sa maison de Saint- Médard-en-Jalles. Les difficultés enfin qui s'annonçaient dans le déplacement retour à Krivoi- Rog, une ville industrielle en territoire militaire et donc normalement interdit. On ne jouait pas à Dniepropetrovsk en raison de la neige, mais jamais personne n'aurait imaginé que ce serait encore plus difficile de rejoindre Krivoi-Rog. Il faut dire que le président Bez avait mis les Soviétiques de mauvaise humeur en affrétant un avion d'Air France alors que jamais un avion occidental ne s'était posé à Krivoi-Rog. Mais le président bordelais voulait absolunent voir le mot «FRANCE» en territoire soviétique et la compagnie de charters avait dû même louer un avion à Air France pour satisfaire les désirs de Claude Bez.
Jusqu'à Kiev, seule escale prévue, tout se passa bien. Les formalités de douane furent même relativement vite expédiées, me laissant juste le temps de mettre au point avec Jean Sadoul les grandes lignes du prochain accord Canal Plus Ligue nationale. Et nous étions tous remontés dans l'avion pour la dernière heure de vol, lorsque tomba la nouvelle: «Brouillard sur Krivoi-Rog. Vous ne pourriez pas atterrir. Vous couchez là.» C'était le début de la plus folle des aventures. En trois jours il se passa tout : report du match, annulation du match, préparatifs de départ pour Bordeaux, préparatifs pour un voyage en train, de 1 1 heures, et toujours au centre un président Bez multipliant les ruptures avec les Soviétiques dans de grands éclats de voix, et cédant enfin mercredi matin, après un ultime baroud, aux pressions de l'UEFA, de la mairie de Bordeaux et des joueurs qui voyaient poindre avec angoisse la menace du forfait. Claude Bez était allé très loin dans cette affaire (les Girondins ont été pénalisés d'une forte amende mais en cas de forfait, ils auraient été exclus au moins trois ans de coupes d'Europe; mais ce que je peux dire c'est qu'un résident français rencontré à Krivoi-Rog avant le match m'a affirmé qu'il y avait du soleil depuis trois jours et qu'on n'y avait pas vu la moindre trace de brouillard. Ce qui accréditait bien la thèse des tracasseries soviétiques soutenues par le président Bez qui, curieusement, à Kiev avait été logé dans la chambre 14- 18. Toujours est-il que prenant finalement un avion mercredi matin, les Girondins avaient rallié Krivoi-Rog à midi pour jouer à 1 7 heures.
Les attendait un message du directeur des postes de Bordeaux félicitant les Girondins qui venaient, après le Championnat d'Europe, d’être élevés à l'Ordre national du Mérite, Lacombe, Giresse, Tigana, Battiston et... Bossis. Les attendait aussi un délégué de l'UEFA bien embêté de tout ce qui s'était passé et qui enregistra sans plaisir une réclamation bordelaise affirmant que l'article 7 avait été violé puisque l'équipe visiteuse n'avait pu arriver la veille de la rencontre. Visiblement, le délégué finlandais en voulait un peu aux champions de France qui le mettaient dans une situation difficile et l'obligeaient à la rédaction d’un long rapport. Plus facile en revanche fut la tâche d'Aimé Jacquet, dans le vestiaire 22, quand il fit sa causerie. La motivation des joueurs était toute trouvée. Ils avaient tant l'impression d'avoir été victimes de magouilles qu'ils avaient la bave aux lèvres. Jacquet se contenta simplement de leur demander de revenir à une simplicité qui les avait quittés lors des deux dernières défaites à l'extérieur, à Tours en championnat et à Lille en Coupe de France. Il ajouta aussi que la force bordelaise était son collectif et que personne ne devrait céder à l'envie de jouer individuellement en pensant que le partenaire n'était pas en forme. Sans doute les Bordelais n'avaient-ils pas suivi la meilleure préparation qui soit, cloîtrés dans cet hôtel surchauffé de Kiev, mais ils ne parurent jamais diminués.
Tout juste pris de vitesse dans une première mi-temps qui fit frissonner le camp bordelais. La mise en place était laborieuse et la star d'en face Litovtchenko, suspendu à l'aller, avait des fourmis (rouges) dans les jambes. Il tirait notamment à la 12e minute un chef- d'œuvre de corner brossé qui finissait sa course sur la tête de son arrière Lyssenko, lancé à toute allure pour ouvrir la marque. Allait-on vers la catastrophe? «Non répondra plus tard Thierry Tusseau. Quand ils ont marqué et gâché une belle occasion peu de temps après, je me suis dit que nous allions revivre à peu près le même match qu'à Bucarest. Que nous allions peu à peu prendre l'ascendant et que rien de grave ne pourrait nous arriver. » Avant de prendre l'ascendant, il restait à sortir sans autre accident de la première mi-temps. Ce fut fait, non sans quelques arrêts de Dropsy, non sans quelques accrochages à la limite de la violence, dont l'un coûta un carton jaune qui aurait son importance plus tard, à Vichnevski.
Après le repos la physionomie de la rencontre changea. Les Soviétiques avaient laissé quelques forces dans la bataille, les Bordelais avaient pris leurs marques. Une reprise de Tusseau, un tir de Muller, que la soif de revanche poussait toujours plus loin, sonnèrent le renouveau. Une lumineuse frappe de Tusseau en pleine lucarne, à la suite d'un coup franc (75e) signa l'égalisation. Pour Dniepropetrovsk et Bordeaux, c était l'égalité parfaite. Pour ce déplacement pas ordinaire, il ne pouvait y avoir une fin de match ordinaire. 1-1 à la fin du temps réglementaire, 1-1 à la fin de la prolongation marquée car trois événements, une nette supério'tté bordelaise, l’exclusion de Vichnevski qui avait mérité un deuxième carton aune et, ce que peu de gens virent, un choc entre Lacombe et Krakowski. «La balle était entre nous deux, m'a raconté, au moins deux mois plus tard, Lacombe, et je me suis jeté comme un fou dessus. En championnat de France, je ne l'aurais pas fait, mais en Coupe d'Europe...» Krakowski était resté une à deux minutes à terre et on avait oublié l'incident. Mais moins de dix minutes plus tard débutait l'épreuve des tirs au but et comme Lacombe lui-même, je reste persuadé que le gardien soviétique n'avait pas récupéré et qu'il était toujours dans le cirage. Avant ce terrible suspense, Aimé Jacquet avait aussi fait la preuve de ses formidables qualités de psychologue. Au lieu de laisser, après le coup de sifflet final de la prolongation, s'installer le doute, l'hésitation, la peur peut-être dans son groupe, il s’était avancé avec beaucoup d'autorité et avait dit: «Tireurs de penalties: n° 1 Battiston, n° 2 Nanar, n° 3 Gigi, n° 4 Léo, n° 5 Fer¬ nando.» «Il n'y avait plus de concertation possible, expliquera Jacquet dans l'avion de retour. Je devais être convaincant et rassurant, mais j'étais sûr de mon coup.»
Les Bordelais n’oublieront jamais ces instants, les plus forts de leur vie de footballeur: Battiston revenant après le premier but et disant aux autres «pensez à votre femme et à vos enfants les mecs!» Dropsy se détendant sur sa droite pour détourner sur le poteau le tir de Litovchenko. Lacombe décidant dans le rond central où il frapperait, Giresse avouant: «J'ai pensé à Séville», Specht s’avançant pour le premier penalty de sa vie (Jacquet ne le savait pas). Et enfin Fernando Chalana signant la qualification du pied droit. Toutes les tracasseries étaient oubliées. Le président Bez dansait dans les vestiaires, où il était resté enfermé pendant les penalties, avec un béret sur la tête. Chalana, qui enfin n'était plus l'Arlésienne, racontait mille fois son ultime tir. Lacombe et Giresse ne se rendaient pas compte que l'eau des douches était froide. Et chacun riait, chacun pleurait. A quelques mètres de là Vladimir Yemets, prince de l'humour noir, affirmait : « Mon équipe a perdu parce qu'elle n'a pas pu se préparer normalement!» A faire rire tous les Bordelais. Au moins jusqu'au tirage au sort des demi- finales...
pass twb22
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