25 Juin 1986
Stade Aztec
En éliminant l’Italie et le Brésil dans le style pimpant qui fait son originalité et sa gloire, l’équipe de France a conquis les cœurs en justifiant les possibilités qu’on lui prêtait. On la voit championne du monde, comme si cela allait de soi, comme s’il ne restait plus qu’à pousser la porte et à s’asseoir dans le fauteuil du maître. La demi-finale France-Allemagne ne peut pas échapper aux souvenirs de Séville, à cette nuit à la fois magique et pleine d’orties, à Schumacher, aux penalties, à la cruelle désillusion. On veut en faire une revanche avec plein d’arrières-pensées dont certaines remontent peut-être à 1 870. On a tort. L’équipe de France n’a plus de revanche à prendre, avec toutes les belles choses qu’elle nous a déjà montrées dans ce Mundial 86 et elle a surtout intérêt à ne pas verser dans un match empoisonné qui servirait mieux son adversaire qu’elle-même. On peut simplement espérer qu’en cette nouvelle demi-finale de Coupe du Monde, l’équipe de France est capa¬ ble d’accentuer sa progression et, par exemple, de retrouver les vrais Giresse et Platini, ceux qui, en un éclair ou un coup de pied, vous font basculer un match du bon côté.
Henri Michel a dû renoncer aux services de Dominique Rocheteau dont la blessure musculaire aurait eu besoin d’un ou deux jours supplémentaires pour guérir totalement. C’est donc Bellone qui prend place au côté de Stopyra en attaque, un Stopyra devenu indiscutable, épanoui et rayonnant et que « le monde nous envie ». L’état des troupes tricolores ? « C’est l’interrogation, dit Michel. Tout a été fait pour que la récupération soit parfaite mais on peut toujours se poser des questions. Nous ne savons pas si nous sommes à cent pour cent après un effort aussi long par cette chaleur. Les organismes sont certainement marqués mais on peut se dire que ceux des Allemands le sont aussi. » Beckenbauer sait que son équipe manque de la brillance des Français. Mais, pour avoir été un artiste et avoir personnellement subi les attentions des moins doués, il connaît les armes et les poisons destinés à combattre le talent. Il rappelle à ses joueurs que leur salut est dans l’effort et dans la permanence de cet effort. Il leur rappelle aussi qu’on n’a jamais vu un club français gagner une Coupe d’Europe alors qu’à eux tous, les Bavarois, les Hambourgeois, les Wurtembourgeois et les autres, ils en comptent quelques-unes dans la vitrine.
Il n’y a que deux scénarios pour les Fran çais : ou bien, après leurs victoires sur l’Italie et le Brésil, ils sont capables de monter encore plus haut ou bien ils prennent le chemin de la sortie, à bout de forces, de nerfs ou d’imagination.
C’est malheureusement le deuxième qui s’écrit à Guadalajara, là où les Bleus ont laissé leurs jambes et leur psychisme dans un France- Brésil qui a pompé leurs forces profondes. Une trop grande victoire nécessite un temps d’assimilation mais un tournoi mondial n’attend pas.
L’équipe de France n’est pas inférieure à l’équipe d’Allemagne, ni en théorie, ni dans les faits. Mais elle ne la vaut sans doute pas, ce 25 juin 1986, sur le plan de la résistance athlétique et sur celui du mental. Elle s’en sortirait peut-être, cependant, si elle n’encaissait en tout début de match, à la 9e minute, l’un de ces buts sur coup franc qui ressemblent à une malédiction. « C’est d’autant plus rageant, dira Bossis, qu’il n’y avait absolument pas faute sur Rummenigge. Manuel Amoros ne lui touche même pas le pied. Seulement, il s’allonge bien et l’arbitre (M. Agnolin, Italie) se laisse abuser. » Andréas Brehme, que Beckenbauer a décalé sur le côté droit de sa défense pour perturber les Français, reçoit la petite passe de Magath et frappe sauvagement du pied gauche. Bats plonge, semble devoir contrôler le ballon et laisse celui-ci filer sous son bras gauche. C’est un accident, bien sûr, sur un ballon délicat à négocier, mais c’est un accident mortel.
L’équipe de France va en effet se créer plusieurs très bonnes occasions dans le cours du match mais se montre incapable d’en exploiter une seule, perturbée qu’elle est par le renouveau allemand, par l’incapacité de Giresse et de Platini à ordonner le jeu tricolore, par les difficultés de placement et d’articulation des uns et des autres. Pourtant, Amoros, Tigana, Stopyra, Battiston rivalisent d’ardeur et d’initiative. Et il ne faudrait pas grand’chose un peu de lucidité à l’instant de la passe décisive par exemple - pour que le combat change de bénéficiaire. Platini, par exemple, oublie en route le ballon limpide offert par Stopyra (26e) ; Schumacher repousse un tir de Tigana (39e) ; Platini se fait contrer à la réception d’un centre d’Ayache (44e) ; Platini manque de quelques centimètres la réception d’un coup franc de Giresse (58e) ; Stopyra tire sur Schumacher (64e). Mais surtout, une minute avant la fin, Battiston monté aux avants-postes se retrouve en position de tir ou de passe décisive : Xuereb est seul au deuxième poteau, entré à la 67e minute à la place de Bellone. Souvenir de Séville ? Envie de battre Schumacher ? Battiston manque son coup de canon et le gardien allemand se frise la moustache. C’est fini et c’est bien triste. Après avoir été envahie par un espoir immense et excessif, la France profonde se sent en partie déçue et frustrée. Elle devrait plutôt penser à cette magnifique génération de joueurs qui, après avoir entretenu, par sa valeur, par ses résultats, une extraordinaire espérance, n’a pas pu l’assumer jusqu’au bout. Penser aussi à la tristesse de champions qui ont tout donné et qui méritaient sans aucun doute de connaître le bonheur suprême. On les aura décidément beaucoup aimés, les Bleus de la légende.
25 Juin 1986
Guadalajara
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C’est une des équipes nationales les plus mythiques du football mondial, mais de la manière la plus singulière qui soit parce qu’elle est entrée dans l’Histoire à retardement et qu’elle doit cette aura non à ce qu’elle a failli faire, mais à ce qu’elle aurait pu réussir et changer. Le récit a posteriori des événements aime à croire que tout a basculé sur un penalty raté, le 3 juillet 1990 à Florence en quart de finale de la Coupe du monde italienne.
«Chaque match est une vie», dit Hidalgo, décidément champion de la formule. Pour vivre une nouvelle vie contre les Irlandais, le sélectionneur a rappelle naturellement Platini - alors que des petits malins, à la suite du succès sur l’Autriche, sans Platini, s’interrogeaient sur l’opportunité de laisser le n° 10 à l’hôtel et il confirme Rocheteau dans sa fonction, Dominique ayant bonifié le jeu offensif de l’équipe de France à chacune de ses apparitions. Ce qui donne Ettori - Amoros, Janvion, Trésor, Bossis - Tigana, Giresse, Genghini, Platini - Soler, Rocheteau.
Tout, dans ce Mundial, s’accorde à faciliter la tâche de l’équipe de France et c’est fort bien comme ça. La composition du groupe D du deuxième tour, avec l’Autriche et l’Irlande du Nord comme adversaires propose quasiment comme une évidence d’aller en demi-finales, la chronologie des matches donnant en plus aux Bleus, selon la propre expression de Michel Hidalgo un « petit coup de pouce. » Le sélectionneur français a d’ailleurs le sens de la formule, et l’oreille attentive des journalistes étrangers car il parle volontiers le bougre. «Les bonnes équipes, ainsi que les bons joueurs, naissent de la compétition», dit-il. «Une bonne équipe est celle qui commence dans l’amitié et finit dans l’ambition », suggère- t-il.
Un groupe survolé par l'Angleterre, qui remporte aisément ses trois rencontres, marquant six buts et n'en concédant qu'un. Sa désignation comme tête de série avait soulevé de véhémentes protestations, les dernières performances de l'équipe de Greenwood n'ayant rien eu de particulièrement remarquable. Sa prestation lors de ce Mundial justifie a posteriori la décision des organisateurs. Qualification sur le fil de la France, largement battue par l'Angleterre, largement vainqueur du Koweit au terme d'un match «à scandale», auteur d'un nul difficile contre la Tchécoslovaquie. Un Mundial à oublier très vite pour l'équipe d'Europe centrale, qui avait habitué ses supporters à un comportement plus brillant. Première apparition intéressante du Koweit (malgré le scandale évoqué ci-dessus et une nette défaite contre la France), avec un bon nul contre la Tchécoslovaquie et une remarquable résistance contre l'Angleterre.
« Le museau était couvert par un loup en satin noir à travers lequel brillaient deux gouttes : les yeux. » Joseph Kessel, écrivain sublime de l'aventure et du rêve des hommes, commence ainsi son œuvre sans doute la plus élaborée par la peinture d'un petit lion qui deviendra, au fil des pages, un véritable chef-d'œuvre. Maintenant, je sais pourquoi j’ai repensé au lion de Kessel en vivant comme tout le monde l’épopée des joueurs du Cameroun en Italie. Le roman qu’ils ont écrit là-bas restera à jamais comme un des plus beaux chefs-d'œuvre de l’histoire du football. Beau parce qu'inattendu, beau parce que nourri de la seule inspiration des hommes, beau parce que généreux sans le vouloir, sans le savoir et sans le rechercher, beau parce que débridé, puis tour à tour génial et naïf ainsi que l’est encore l’âme du peuple africain. En voyant les joueurs du Cameroun se faire les griffes sur le dos des Argentins et des Roumains, je me suis surpris à croire que je n'étais pas au Mondiale, là où d'autres plus vertueux, plus riches, plus confirmés semblaient mettre toute la force de leurs talents au service de tactiques recherchées en laboratoire par des génies formés à l’école de la supercherie. C'est en prenant, je crois, le contre-pied de ces techniques élaborées à coups de règle à calcul que les Camerounais ont réhabilité au plus haut degré le plaisir de jouer. Et qu'ils sont devenus des Lions indomptables.
Le F.C. Bruges, inamovible champion de Belgique depuis bientôt trois ans, quart-finaliste de la Coupe d’Europe en 1977, finaliste de la Coupe U.E.F.A. en 1976, est devenu en quelques années un « grand » du football européen. Pourtant, en 1974, il était moribond, avec un trou budgétaire de cent millions de francs belges, soit près d’un milliard et demi d’anciens francs. Il n’avait été sauvé que par l’association de quinze industriels investissant dix millions de francs belges chacun pour, à la fois, éponger le déficit, acheter le terrain du «Klokke» où serait édifié le stade, et renforcer l’effectif. « Klokke» signifiant cloche en flamand, on n’a pas tardé à surnommer les quinze hommes « les carillonneurs de Bruges». Leur meilleure initiative, à ces carillonneurs, c’est d’être allé chercher un entraîneur de dimension supérieure, réputé pour sa compétence technique et son autorité : l’Autrichien Ernst Happel, ancien international (51 sélections) du Racing Club de Paris, qui a déjà mené Feyenoord à la conquête de la Coupe d’Europe et de la Coupe Intercontinentale (en 1970).