Groupe 5
Match Retour
30 mars 1977
Lansdowne Road Dublin
WC.Qualifs.1977.Eire.Fra.twb22.mp4
2.1 Go
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Aussi prometteur et grisant soit ce succès sur les Allemands, le match de Dublin contre les Irlandais est d’un tout autre calibre. Une victoire qualifierait automatiquement l’équipe de France à la phase finale de la Coupe du Monde. Un match nul, sans être décisif, pourrait le devenir par la suite. Une défaite remettrait en cause le processus de régénérescence de la sélection, et ferait resurgir les vieux démons du doute et de la contestation. Mais gagner à Dublin n’est jamais une aimable partie de broderie. Pour arracher une victoire sur cette terre gaélique, il faut offrir « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur». Il faut dominer son émotion quand le public irlandais chante grave¬ ment ses cantiques et notamment son « Old soldiers never die» (les vieux soldats ne meurent jamais). Depuis le fond des temps, les Irlandais confondent mythes et réalités. Ils vous parlent de Tir Na Nog, le pays de l’éternelle jeunesse, ou des Wishing wells, les fontaines sacrées. Alors, sur un terrain de football ou de rugby, ils revivent leur folklore passé sans autres limites que celles de leur courage, qui est grand, et de leur grain de folie, que les Anglais n’ont jamais saisi. Hâbleurs, batailleurs, paniers percés, cœurs en écharpe, ils se prennent si peu au sérieux qu’ils laissent volontiers quelques dents dans les bagarres alcoolisées du samedi soir, avant de réciter les deux vers du poète Thomas Moore : « Le sourire et les pleurs, Erin, sont dans tes yeux. Mêlés comme en l’iris qui plane dans les cieux.. » Plus encore que nos footballeurs, les rugbymen français ont souffert mille morts contre ceux que l’on appelle « les diables verts ». Car le fameux fighting spirit (l’esprit de combat) n’est pas un vain mot. Il existe. On l’a rencontré. L’ancien international de rugby Andy Mulligan raconte à ce propos la savoureuse anecdote de Ronnie Kavanagh, un dur de dur qui, à trois jours d’un match décisif pour son club, conduisit tous les siens dans un entraînement extravagant, digne des « Marines», les obligeant même à se déshabiller pour traverser à la nage une rivière à moitié gelée. Lorsque la chose fut rapportée à Tony O’Reilly, le fabuleux trois-quarts d’Old Belvedere, aujourd’hui P.-D.G. du plus grand groupe de presse irlandais, qui devait justement affronter les «paras» de Ronnie Kavanagh, il eut simplement ce mot tranquille et superbe : « Si, samedi, le stade de Lansdowne Road est traversé par une rivière gelée, alors, peut-être, ils ont une chance... »
La dernière fois que les footballeurs français sont venus à Dublin, pour un autre match éliminatoire de Coupe du Monde, ils sont repartis avec leurs illusions sous le bras. C’était le 15 novembre 1972 avec une équipe formée de Carnus Broissart, Quittet, Trésor, Rostagni Huck, Adams Loubet puis Molitor, H. Revelli, Larqué, Bereta. Battus 1-2, les Tricolores avaient été passés au droit fil de l’arme blanche. La situation est différente le 30 mars 1977. D’abord, on ne joue plus dans l’antique Dalymount Park où les spectateurs sont si près du terrain qu’ils en forment presque les limites. La Fédération Irlandaise a choisi le temple du rugby irlandais, Lansdowne Road, un grand stade de 46 000 places qui s’adosse au trafic incessant d’une voie ferrée qui doit bien dater du déluge. Pour y jouer au football, il faut aller déplanter les poteaux de but du stade de Home Farm: ce sont les seuls qui conviennent aux trous de la pelouse de Lansdowne Road. Ce qui a changé aussi, c’est le jeu de la .sélection irlandaise. Le fighting spirit ne s’est pas envolé mais il est enrobé de beaux sentiments. Johnny Giles, avant d’être un guerrier, est un grand joueur de football. Il a convaincu ses hommes qu’une bonne passe était parfois plus efficace qu’un solide coup de savate dans le gras de l’adversaire. Les Français l’ont déjà constaté au Parc des Princes pour le match-aller : l’équipe d’Eire « joue bien au football ».
Pourtant, l’affaire Lacombe laisse planer une odeur de poudre sur la rencontre. Les Irlandais n’ont pas oublié le vilain geste du Lyonnais sur le jeune O’Leary. Ils s’étonnent disent-ils, « du courage et de l’inconscience du Français osant venir les affronter à Dublin». Ils laissent entendre qu’ils vont « prendre des précautions pour que Lacombe ne recommence pas ». On demande alors à Hidalgo s’il a bien l’intention de lancer le Lyonnais dans l’arène aux fauves : « C’est à Lacombe de prendre ses responsabilités, précise le sélectionneur. Il a allumé un incendie. A lui de l’éteindre. »
Le brave Bernard est très étonné de toute cette agitation. Mais la peur ne l’habite pas. «Vous savez, dit-il, dans mon quartier natal de Lyon, nous avons tous le nez cassé. Alors... Je n’ai pas du tout l’intention de renoncer à ce match. S’il fallait agir ainsi à chaque coup que l’on donne ou que l’on reçoit, il n’y aurait plus de footballeurs professionnels de par le monde. » Marius Trésor étant toujours dans l’incapacité de jouer, la paire Rio-Lopez est reconduite : elle a fait les preuves de son efficacité contre les Allemands. Gérard Janvion, malgré cinq jours de forte bronchite et une coupure dans sa préparation, accepte d’affronter pour la quatrième fois en quatre mois le fameux ailier Heighway (qui joue à Liverpool). Le vrai problème d’Hidalgo concerne en fait le poste d’arrière gauche déjà occupé par quatre hommes différents depuis le début de la saison: Farison, Bossis, Burkhard, Janvion. Un cinquième fait son apparition: le jeune Nantais Thierry Tusseau, 19 ans, stagiaire professionnel et successeur de Bossis, depuis la fracture de celui-ci, sous le maillot des Canaris. « Cette génération qui monte, fait remarquer Hidalgo, est remplie d’enthousiasme, d’ambition, de certitudes. Elle est probablement plus mûre à vingt ans que nous l’étions à vingt- cinq. L’intégration d’un garçon comme Tusseau ne doit donc poser aucun problème. » L’équipe de France, qui joue son avenir en Coupe du Monde, aligne donc le 30 mars 1977 à Dublin l’équipe suivante: Rey Janvion, Rio, Lopez, Tusseau Bathenay, Platini, Synaeghel Rouyer, Lacombe, Rocheteau. Les Irlandais ont dû renoncer au terrible joueur de tête qu’est Stapleton, et Giles a titularisé un vieux grognard méchant comme un bouledogue : Ray Treacy, 32 ans, qui défonce les portes de chêne en courant. Rapidement, les Français savent ce qui les attend. Même le ciel s’est mis de la partie. La pluie, le vent, les nuages lourds rappellent que l’Irlande est la première terre européenne exposée aux vents d’ouest et qu’elle est .située « dans le lit même des principaux trains de cyclones ». L’équipe de France est prise à la gorge par une rivale irlandaise très bien organisée, pratiquant un football complet, varié, précis, avec des accélérations meurtrières. Adossés au vent violent, Johnny Giles et ses terreurs contrôlent presque constamment le ballon et le jeu au milieu du terrain. Ils empêchent les Français de sortir de leur trou et les pilonnent méthodiquement, sans un temps mort.
L’équipe de Giles, farouchement déterminée, impressionne par sa clairvoyance tactique et son habileté manœuvrière. Le maître à jouer de West Bromwich, après avoir été celui de Leeds, donne à ses Verts une dimension qu’ils n’ont jamais connue. A la 27e minute, de vingt-cinq mètres, c’est lui qui déclenche un tir fracassant sur la barre transversale de Rey, le ballon étant repris et botté au- dessus par Givens. C’est à ce moment-là que, saisie sans doute par l’imminence d’une catastrophe, l’équipe de France commence à redevenir elle-même. Elle se met à peser de toutes ses forces sur le match, à exprimer sa volonté, à se rebiffer en un mot. Rocheteau (32e), Bathenay (38e), Rocheteau encore (41e) réussissent des tirs qui ont l’allure de buts en puissance. Dans cette bataille qui s’intensifie, Lacombe ne laisse pas sa part au chat. Depuis le coup d’envoi, son garde du corps Martin lui cherche des poux dans la tête, ne perdant pas une occasion de le brutaliser. Le Lyonnais, courageux comme un diable vert d’Irlandais, prend tous les risques dans les déviations et les dribbles en pivot. Il y met tant d’ardeur et d’élégance que, peu à peu, les Irlandais oublient leur grief et que le match dilue son poison.
Le vent semble après le repos, pousser les bonnes résolutions des Français. Platini est revenu se placer en quatrième attaquant au côté de Lacombe, avec lequel il réussit plusieurs échanges de passes efficaces et redoutables. Les Irlandais tremblent sur leurs bases mais, bien organisés, parviennent toujours à récupé¬ rer le ballon et à protéger l’accès de leur but soit en l’air, grâce au brillant jeu de tête de O’Leary, soit à terre grâce à Martin et Giles. De temps à autre, ils étalent à leur tour un jeu profond, précis, d’une grande sûreté technique, le match grandissant alors en beauté et en intensité. Hormis un tir remarquable de Brady (50e)
contrôler au millimètre le redoutable Givens. Elle cherche fréquemment son salut dans le hors-jeu à la stéphanoise malgré l’avertissement d’Hidalgo avant le coup d’envoi: «Je n’aime pas beaucoup ça ! »
A la onzième minute, Giles tire très vite un coup franc au profit du numéro 6 Brady qui, mis en possession du ballon, croise le rideau défensif des Tricolores en train de remonter, profite de deux contres favorables et s’en va battre Rey d’un tir «de la pointe». Le hors-jeu à la stéphanoise n’a pas fonctionné. Plus tard, Bathenay expliquera que le vent et le ballon britannique sont pour beaucoup dans la réussite de Brady : « Ce ballon était tout à fait différent de celui que nous utilisons chez nous. Il a eu une trajectoire inattendue et Brady en a profité. » Hormis un tir de Brady détourné en corner par Rey, la plupart des occasions sont cependant françaises. Dominique Rocheteau, qui a fait sa rentrée à Rennes un mois plus tôt après son entorse du genou, multiplie les dribbles et les tirs (46e, 59e, 62e, 66e). Mais il lui manque un zeste de vivacité, une ombre de réussite pour faire la décision. Rouyer, décalé à l’aile gauche, semble chercher ses repaires par rapport à ses coéquipiers. Lui aussi a manqué sur une échappée (48e) l’occasion d’égaliser. Dans un stade en délire, l’équipe de France jette ses dernières ressources. Sur le banc, le Valenciennois Didier Six, en super-forme, piaffe d’impatience. Il espérait rentrer en deuxième mi-temps, et le sélectionneur ne bouge pas l’oreille. A la 77e minute, sur un corner de Lacombe, Platini s’élève et frappe la balle de la tête.
But? Non, pour quelques centimètres. Dans la nuit qui tombe sur Lansdowne Road. le Sotdiers never die s’élève encore plus fort. L’Irlande tient sa victoire, l’équipe de France sa défaite. Bathenay, sans faux-fuyant, admet que «les meilleurs ont gagné». L’Equipe écrit : « L’équipe de France a, c’est évident, tourné moins rond que Saint- Etienne. Mais l’essentiel, pour nous, c’est qu’elle n’est, après Dublin, ni pire ni meilleure qu’avant. Elle a perdu une bataille, pas la guerre. Elle a succombé la tête haute, presque comme Saint-Etienne à Liverpool».
Les Irlandais ont une formule pour qualifier le temps, et par extension, la vie dans leur pays: « Une larme et un sourire». Pour l’équipe de France, le soleil suivra la pluie, c’est écrit dans le ciel.
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