La scène se passe à Compostelle, en Espagne, au mois d’octobre 1996, et l’image a fait le tour du monde. Bobby Robson, entraîneur de Barcelone, se lève de son banc, fait quelques pas, se prend la tête à deux mains, lève les yeux vers le ciel, qu’il semble interroger dans une expression d'incrédulité, de folle admiration, presque d'incompréhension. Ce que Robson a vu vient obligatoirement de l’au-delà, d’un autre monde où les footballeurs seraient des anges ailés et invincibles, dotés d’un pouvoir inconnu. Quelques instants plus tôt, Ronaldo a chipé la balle à Frank Passi dans son propre camp. Ces instants d’anthologie se teinteront donc de bleu-blanc-rouge. Dix secondes et quatorze touches de balle plus tard, au bout d’une course de 50 mètres durant laquelle il s’est extirpé de tous les pièges, de tous les tacles, de toutes les poussées, de tous les étaux, avec ce ballon collé au pied droit, cet art suprême et infernal de l’esquive, il est venu inscrire le plus ahurissant des buts. Un but pour l’éternité qui n’est pas l’œuvre d’un illusionniste, d’un moderne Houdini, mais d’un feu follet touché par la grâce. Agenouillons-nous, frères et sœurs en balle ronde, devant ce nouveau messie descendu parmi nous pour porter la bonne parole. Son message est amour, son visage est douceur avec une indéfinissable coquetterie dans le regard, ces larges dents proéminentes que dégagent en permanence un sourire encore presque enfantin, sourire de l’âge tendre, de l’adolescence paisible et insouciante, tout le contraire en somme de ce qu’il vit pour son plus grand plaisir.
« Le football est une passion qui m’anime depuis ma naissance, raconte-t-il souvent. Je n’ai jamais imaginé faire autre chose. Depuis tout petit, je me bats pour y arriver. Je veux devenir le meilleur joueur du monde et je travaille pour y parvenir. »
Comme s’il était possible de devenir ce que l’on est déjà. Car Ronaldo Luis Nazario de Lima, né le 22 septembre 1976 à Rio de Janeiro, Brésil, n’a plus de rivai à sa taille. Il est le nouveau Pelé, celui que n’ont jamais pu devenir le fier Johan Cruyff, le somptueux mais malchanceux Zico, Maradona. Quel chemin parcouru en si peu de temps, depuis ce premier titre de champion d’Amérique du Sud cadets obtenu alors qu’il joue au Social Ramos Club, ce titre de champion de l’Etat de Minas Gérais décroché alors qu’il évolue à Soa Cristovao, ce titre de champion du monde en chocolat, glané aux Etats-Unis en 1994. sans jouer la moindre minute, parce qu'il n’a que 17 ans. Il conduit alors l’attaque de Cruzeiro, et l’heure de faire ses gammes en Europe sonne.
Il prend donc le même chemin que Ro- mario quelques années plus tôt, et revêt le maillot du PSV Eindhoven. Dans ces Pays-Bas si peu cariocas, où il fait si froid, son ascension commence.
Pour ses débuts en Coupe d’Europe, à 18 ans moins 9 jours, il marque trois buts aux Allemands du Bayer Leverkusen. Déjà, tous les recruteurs lui tournent autour, tous les présidents des grands clubs européens font leurs comptes. Deux ans plus tard, avec pour tout trophée une Coupe des Pays-Bas, il débarque à Barcelone, bardé de 4 centimètres de plus qu’à son ar¬ rivée, d’un contrat de 8 ans, de la garantie de toucher 10 millions de francs par an nets d’impôt et d’une clause libératoire fixée en fin de première année à 180 millions de francs, histoire de décourager d’éventuels acquéreurs. Sur les bords de la Méditerranée, au cœur de cet invraisemblable volcan Barça auquel tant de stars se sont un jour brûlées, un miracle se produit. Soumis à toutes les pressions, Ronaldo reste «Ronaldinho», gamin de Rio, ouvert et agréable, sympa et abordable, jamais à court d’une plaisanterie, d’une blague, d’une imitation ou d’une très longue séance d’autographes pour ses jeunes admirateurs. «J’étais encore un enfant il n’y a pas si longtemps, dit-il. Je comprends les petits qui s’approchent de moi. J’aime leur compagnie. Quand j’avais leur âge, j’aurais aimé que mes idoles d’alors soient plus disponibles. »
Cet esprit du bien, il le conserve sur le terrain où il ne simule jamais, ne proteste jamais, repartant sans cesse à l’assaut d’un idéal qu’il expose dans un discours qui coule comme du miel : «Je ne conteste pas qu’il faille entretenir l’athlète et le corps. Mais aujourd’hui, on fabrique des joueurs avec des préparations sophistiquées. J’ai une autre idée du football. Je regrette vraiment que l’on ne fasse plus confiance aux joueurs d’instinct. Le football est un formidable espace de création. Mon ambition, c’est d’apporter quelque chose de nouveau à chaque match. Oser, risquer, tenter, c’est cela qui me motive. Je veux que les gens soient toujours étonnés quand ils viennent me voir. » Comment ne le seraient-ils pas ?
Phénomène absolu du jeu, il est celui qui enchante, qui fait renoncer à toute désespérance certains soirs de purges footballistiques. Il est aussi celui qui rend fou. Barcelone a tout tenté pour garder son nouveau recordman des buteurs ; ses hommes d’affaires, qui ne sont pas d’aimables philanthropes, ont tout fait pour le vendre. L’affaire s’est conclue au mois de juin, durant la Copa America, à Tahuichi Aguilera en Colombie. La barrière astronomique du rachat de son contrat a été allègrement franchie par l’inter de Milan : 1 84 millions de francs pour le transfert, record du monde écrabouillé, plus le prix du billet d’avion, et 20 millions de francs nets par an. Une misère jaillie d’une «nuit historique», selon les termes du président milanais. «Je me fiche d’être le joueur le mieux payé du monde», a dit après coup Ronaldo, enfin soulagé par l’apparente conclusion d’un trop long feuilleton, valse hésitation pleine de contre-pieds et de volte-face, qui l’avait plus tourmenté qu’il voulait bien le laisser entendre. «La seule chose qui compte, c’est de marquer plein de buts dans le Calcio, de remporter des titres avec mon nouveau club et d’être sacré champion du monde», a-t-il ajouté.
L’immense Pelé a affirmé un jour en parlant de Ronaldo : «Il doit encore prouver qu’il est capable de répondre à l’attente du peuple brésilien en remportant au moins une Coupe du Monde. » Ronaldo a affirmé un jour en parlant de lui-même : « Il m’arrive de penser à Zico, qui était l’idole de mon enfance. Un joueur extraordinaire, capable de tous les exploits, mais qui n’a jamais gagné de Coupe du Monde. Mon rêve le plus grand est de remporter le Mondial 98. » Il l'emportera en 2002 et deviendra l'un des galactiques de Perez ...
No comments:
Post a Comment
NO LINKS ALLOWED